« Les accompagnateurs ont des mots, des attitudes, des attentions, une parole, une écoute qu’un professionnel n’aura peut-être pas le temps d’avoir. »
« Quand on rencontre des patients en fin de vie, certains n’ont pas encore intégré le fait qu’ils vont mourir. Il reste encore beaucoup de travail à faire. » C’est le constat que dresse Marc Paviani. Cet ancien accompagnateur de fin de vie n’est plus en activité depuis trois ans. Mais il a passé plus de vingt ans au chevet de personnes mourantes. Deux décennies durant lesquelles, à raison d’une demi-journée par semaine, il a tenté de rendre leurs derniers jours plus supportables. « En une après-midi, je pouvais rencontrer entre une à six personnes hospitalisées en soins palliatifs », se souvient-il.
Inscrits dans le Code de santé publique (article L 1110-1), les accompagnateurs de fin de vie font partie des soins palliatifs qui doivent être proposés aux patients. Ils sont sélectionnés puis formés par des associations, comme JALMALV – Jusqu’à la mort accompagner la vie, ASP fondatrice ou Les petits frères des pauvres, qui adhèrent toutes à la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). Pour débuter un suivi, les accompagnateurs doivent obtenir l’accord de la personne malade et de ses proches.
En France, JALMALV compte 2 500 bénévoles en soins palliatifs. C’est au sein de cette association que Christiane Caillerez a été formée. « Depuis que j’ai commencé, j’ai dû suivre au moins 1 000 personnes, » indique cette retraitée de l’Éducation nationale, accompagnatrice depuis 2010. « C’est toujours différent selon les patients parce que tout dépend de l’état du malade. Parfois certains nous disent qu’ils n’ont pas envie, les patients sédatés ou intubés peuvent avoir besoin d’une présence silencieuse… J’essaie d’être profondément humaine et à l’écoute. »
« J’ai rencontré des gens qui n’ont plus personne, des patients qui sont seuls et qui ont besoin de réconfort. Mon rôle, c’est d’écouter et de rester en retrait, sans juger. On ne dit jamais aux malades ce qu’ils doivent faire. Parfois, on ne connaît même pas leur pathologie », explique Marie-Nöelle Cabaret, bénévole en soins palliatifs depuis 6 ans.
Avant de devenir bénévole, les accompagnateurs ont souvent eux-mêmes vécu la mort d’un proche. « Ceux que nous recrutons ont accompagné un parent, un père, une mère, parfois un frère, une sœur. Ils ont rencontré des bénévoles et ça les a marqués », explique Françoise Monet, présidente de JALMALV Val d’Oise. « J’ai accompagné mon époux pendant un an tout au long de sa maladie. Durant son dernier mois à l’hôpital, j’ai été portée à bouts de bras par des bénévoles. C’est pour ça que j’ai voulu rentrer dans une association. Pour donner ce que j’avais reçu. C’est toujours une histoire personnelle. »
Mais il incombe aux bénévoles de conserver une distance avec les accompagnés afin qu’ils ne soient pas trop impliqués émotionnellement. « J’ai sympathisé avec une personne qui est restée hospitalisée 18 mois, jusqu’à son décès. Je ne m’en suis pas rendue compte mais je l’ai réellement prise en affection. Et je n’ai rien vu venir. Quand elle est partie, pour moi, ça a été un drame », se souvient Marie-Noëlle Cabaret. « On m’a demandé de faire très attention et de ne pas trop m’impliquer. » « Les bénévoles font des pauses quand ils ont des soucis familiaux ou qu’ils tombent eux-mêmes malades. Et quand on les forme, on leur rappelle qu’ils ne sont pas là pour soigner leurs propres plaies », indique Françoise Monet.
« Les bénévoles ne se préoccupent pas seulement de la mort mais d’accompagner la personne jusqu’au bout dans son parcours de vivant », remarque Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’Université de Paris-Saclay. « Les accompagnateurs ont des mots, des attitudes, des attentions, une parole, une écoute qu’un professionnel n’aura peut-être pas le temps d’avoir parce qu’il est pris dans sa technicité. »
« Un bénévole en soins palliatifs n’a pas le même sens qu’un bénévole dans d’autres associations. Ce ne sont pas des psychologues, des assistants de services sociaux (…) ou des représentants religieux », remarque de son côté Nadia Veyrié, docteure en sociologie à l’Université de Caen. « C’est une partie de la société civile. Surtout, ce sont des personnes formées qui n’arrivent pas là n’importe comment. » Encadrés par des bénévoles expérimentés, les bénévoles bénéficient d’un suivi psychologique et doivent participer une fois par mois à un groupe de parole.
Cette présence souvent nécessaire reste pourtant peu connue du grand public. Pour attirer de nouveaux bénévoles, les associations lancent des appels à recrutement chaque année mais peinent à mobiliser. Et pour cause : en ce qui concerne les dispositifs qui encadrent les derniers moments de la vie, les Français sont encore peu nombreux à réellement s’informer.
C’est ce qu’à révélé la Commission Sicard en 2012, menée à la demande de François Hollande et pilotée par Didier Sicard, ancien président du comité consultatif national d’éthique (CCNE). « L’idée était de comprendre quelle image et quels souhaits avaient les Français quant à leur fin de vie », explique Valérie Depadt, maître de conférence à l’Université Paris 13 et ancienne membre de la commission. « Nous avons constaté que les gens craignaient la fin de vie et qu’ils avaient peur de décéder dans un couloir d’hôpital. » D’ailleurs, « on n’aime pas imaginer notre propre mort », analyse l’universitaire, ce qui entraîne une « méconnaissance très culturelle » de tout le parcours de fin de vie.
« Il faut savoir ce qui existe, ce qui est possible quand on est en soins palliatifs », martèle Marc Paviani. Aujourd’hui, les directives anticipées, la désignation d’une personne de confiance, les soins palliatifs, et les accompagnateurs de fin de vie sont autant d’outils qui, au fil des législations, ont été mis en place pour prévenir le « mal mourir » en France.
L’ignorance de ces dispositifs peut être liée au rapport que les Français entretiennent avec la mort. C’est ce qu’à mis en lumière Nadia Veyrié, auteure du livre Fin de vie, société et souffrances paru en mai 2014 aux Éditions Le bord de l’eau. « Il y a une crainte de l’accompagnement, d’être à proximité des personnes en fin de vie même si les choses progressent », constate-t-elle.
Le rôle des accompagnateurs en fin de vie est d’autant plus crucial depuis que la société s’est sécularisée, comme l’explique le professeur Hirsch. « Les représentations religieuses que nous avions par le passé se sont estompées. On est désormais dans une société plus rationnelle où la mort reste une question difficile à aborder. » Les bénévoles remplissent par conséquent une fonction importante pour les patients en fin de vie. Une fin de vie qui tend à durer plus longtemps avec les progrès de la médecine.
Dans le même temps, la place accordée à la mort se trouve amoindrie, explique Nadia Veyrié. « Les rituels funéraires sont toujours présents et en même temps ils sont moins importants. On ne voit plus forcément de cortège funéraire, même si ça peut encore se faire en milieu rural. » Une place réduite qui n’entame pas pour autant la peur de mourir. « Il y a une crainte de la mort dans la société. Le fait qu’on ne montre pas un cadavre aux enfants, qu’on hésite ou qu’on réfléchisse à ce sujet là interroge. La mort est devenue beaucoup plus taboue alors qu’elle l’était moins auparavant, parce qu’on est entré dans une société qui fonctionne sur la vitesse, la performance et qui n’a pas forcément le temps de s’arrêter. » C’est dans ce contexte que les bénévoles vont permettre aux patients, qui ne se sont pas toujours confrontés à la question de leur fin de vie avant leur maladie, d’appréhender le mieux possible leur mort.
Source: Vice